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Photo du rédacteurjohnrenmann

Gecko…Un long extrait de l’enquête suivante.

Certains des lecteurs de Gecko ont été nombreux à m’avouer: “Ce n’était pas mal, mais bon, on aurait aimé savoir ce qu’il s’est passé sur la plage, la fin nous laisse…sur notre faim”.

Le fait est que chacune des enquêtes de Kancel et Rousseau s’achève par une ouverture sur l’enquête suivante. A la fin de Gecko, je laissais le pauvre Bonfils face au cadavre ensablé de son ami et le lecteur face au désarroi et à l’impatience.  Cela peut être rageant, j’en conviens.

Or, il se trouve qu’en début d’année j’avais entamé la rédaction de la prochaine (més)aventure des Gwada cops. Seulement, quelque peu sollicité par les lecteurs de “Les colonnes du temps”, j’avais finalement décidé de boucler ma trilogie fantastique et donc stoppé net mon élan littéraire.

Je vous livre la scène de la plage, brute, non corrigée, non relue. Il s’agit du premier chapitre de ce qui sera mon cinquième roman. On peut considérer ceci un peu comme un teaser, c’est le terme à la mode 😉

Bonne lecture

  1. DIABLE…

Sainte-Anne, plage de Bois-Jolan, 23h23.

La dernière année d’étude du jeune François Bonfils fut particulièrement éprouvante. Il se demande encore par quel miracle il a réussi à obtenir sa licence. Des créatures infernales, à l’aspect de chiens monstrueux ont hanté ses rêves. Accumulant les nuits blanches, incapable de se concentrer sur ses études, il a fini par se résigner en annonçant à ses parents qu’il allait probablement devoir doubler son année.

Si sa mère a su se montrer compréhensive, tant il est vrai que son fils fut l’un des témoins majeurs des événements ayant marqué l’île, son père lui a reproché son manque de courage et de pugnacité.

« Man fou a i ! »[1] lui a dit son ami Jimmy, certes quelque peu éméché, lorsque François lui a raconté l’anecdote.

« De toute façon tu l’as eu ta licence, non ? Alors passe à autre chose ! »

Les étudiants de la faculté de Fouillole ont investi la plus belle plage de la commune de Sainte-Anne, y improvisant une soirée dans le but de fêter la fin des examens. Peu leur importe leurs résultats, titulaires de diplômes comme futurs redoublants se sont retrouvés pour prendre part aux festivités et marquer le coup de la fin d’une année scolaire fort difficile.

François observe son ami se déhancher sur le ragamuffin.

Jimmy ne peut s’empêcher d’aguicher les jeunes filles, pour la plupart faussement outrées. Certaines d’entre elles, amusées, gloussent en le singeant…à son plus grand bonheur !

« Il est pas beau ce putain de temps[2] ?, lance t’il à François, allez vient profiter un peu ! »

Bonfils fait la grimace.

— Merci, mais je crois que je vais lever le pied sur ma conso d’alcool. Ces derniers temps, ça ne m’a pas beaucoup porté bonheur, tu le sais.

— Qui te parle d’alcool ? Regarde-moi ces beautés, timal[3] ! Allons leur proposer de danser sur le prochain zouk !

— Désolé, Jimmy, mais je n’ai vraiment pas le cœur à ça, pas ce soir.

— Eh bien, reste dans ton coin ! Moi je n’ai pas l’intention de dormir seul ce soir, si tu vois ce que je veux dire !

François observe, de loin, le petit manège de son ami. Il accoste assez maladroitement une très jolie fille, son état d’ébriété n’aidant guère. Alors que la partie semble mal engagée, la demoiselle semble, finalement, ne pas refuser ses avances.

Veinard, pense Bonfils. Quelques secondes à peine après un zouk particulièrement lascif, les deux tourtereaux partent s’isoler dans un coin reculé de la plage, à l’abri des regards.

— Hé ben, mon cochon ! J’espère que tu te chausseras, au moins ! prononce-t-il à voix haute, avant de rougir en croisant le regard amusée d’une jeune femme assise sur le sable.

Jimmy est aux anges, il plonge son regard dans les yeux verts de sa conquête. Une fille d’une beauté à couper le souffle. Jackpot Jimmy ! Jackpot ! Non non ce n’est pas possible tu dois rêver ! Oui, c’est ça, une telle beauté, ça n’existe que dans les rêves !

La déesse aux yeux émeraude lui caresse la joue en souriant timidement, il frémit.

Mon Dieu, si c’est un rêve, ne fais pas sonner le réveil, fais que les volets de ma chambre soient bien fermés et surtout, tue ce satané coq !

« Comment t’appelles-tu ? » lui demande-t-il.

Pas de réponse, mais la main douce lui caresse le visage de plus belle, ce n’est pas pour lui déplaire.

« Muette ? Tu préfères le langage des signes ? Tu as raison, on s’en fout après tout, on sait très bien ce que l’on veut toi et moi ! »

La demoiselle est vêtue d’un paréo blanc interminable qui lui masque entièrement les jambes. Le tissu immaculé caresse la surface du sable comme le ferait la traîne d’une robe de mariée. Jimmy y voit un signe. Il se montre plus entreprenant en approchant ses lèvres du visage de la belle.

C’est là que tout se joue, mon vieux…ça passe ou ça casse.

Au grand étonnement de Jimmy, la demoiselle n’attend pas que sa bouche rencontre la sienne. Elle s’avance et embrasse goulûment le jeune homme, tout heureux que tout aille aussi vite.

Le soleil s’est couché depuis belles lurettes, mais il fait encore chaud. Sans doute combinée aux effets de l’alcool qu’il a ingurgité, cette chaleur fait tourner la tête du fêtard.

Allons mon vieux Jimmy, ce n’est pas le moment de perdre tous tes moyens !

« Wouhaou ! Tu me fais tourner la tête doudou ! Tu embrasses comme personne ! »

La beauté sourit et embrasse une seconde fois l’autoproclamé Don Juan des caraïbes.

Second moment d’extase, plus intense celui-là. L’étudiant en est presque groggy, des feux follets se déplacent devant ses yeux qu’ils frottent énergiquement.

Le sol se dérobe légèrement sous ses pieds.

Tu nous fais quoi là, mon vieux ? Pas le moment de tourner de l’œil hein ! Penses à la tronche de François quand il saura que tu es sorti avec la plus belle femme des Antilles ! Penses même à celle des autres qui te prennent pour un loser !

Troisième baiser, plus profond, plus long celui-là. Jimmy a le souffle coupé.

Il ne comprend pas ce qui lui arrive. Un goût métallique, tenace, lui donne un haut le cœur. Il hoquète, puis s’excuse maladroitement.

« Excuse-moi, je crois que j’ai bu le ti punch de trop… »

Il inspire un grand coup en levant les yeux au ciel. Les étoiles se meuvent en une étrange farandole. Il pose le regard sur la jeune femme, toujours tout sourire, elle ne semble pas être inquiétée par l’état de Jimmy. Il se dit que c’est préférable, ce serait dommage que l’histoire s’arrête là.

Il s’approche pour l’embrasser une quatrième fois quand il sent de la bave couler le long de son menton.

Merde.

Il s’excuse encore une fois avant de se retourner en essuyant maladroitement son visage du revers de la main.

Il frémit. Ses doigts sont recouverts de sang.

Qu’est-ce que…

Une violente crampe d’estomac le plie en deux, il semble que le surplus d’alcool soit à la recherche de l’air libre.

Jimmy a l’impression de se trouver au centre d’un tourniquet lancé à pleine vitesse. De violents maux de tête le plaque au sol. C’est comme si son crâne abritait une version miniature de la Soufrière en pleine activité.

Il vomit un liquide épais et noir très vite absorbé par le sable.

En temps normal, il aurait honte de lui, honte de la situation. Mais l’humiliation d’avoir perdu la face en présence d’une fille n’est rien en comparaison de la panique qui le gagne lorsqu’il comprend avoir régurgité du sang, du sang en très grosse quantité.

Le visage collé contre le sable poisseux, haletant, il tente de se relever en poussant sur ses bras, comme s’il allait effectuer une série de pompes.

Il se veut rassurant :

« Ça…ça va aller doudou, je ne sais pas ce qui m’arrive, peut-être le bokit[4] que j’ai mangé tout à l’heure…il…il devait être avarié… »

Pas de réponse, mais le jeune homme entend le tissu du paréo glisser jusqu’à lui.

Les pieds de la déesse des îles apparaissent à hauteur de son visage soulevant des grains de sable qui lui brouillent la vue.

Il cligne des yeux puis pause une main sur la jambe de sa conquête, y imprimant le dessin sanglant de ses doigts sur l’étoffe blanche.

« Désolé…je vais nettoyer tout ça.».

Ayant perdu toute lucidité, il prend appuie sur le tibia de la jeune femme afin de se relever. Le tissu du paréo se déchire révélant le mollet de la demoiselle.

Jimmy a une moue dubitative. La beauté se néglige, il n’a jamais vu de jambe aussi poilue si ce n’est chez sa tante Berthe, une réfractaire à l’épilation.

Mais une chose le hérisse, la fille possède-t-elle une prothèse ? Sa cheville est aussi fine qu’une branche d’acacia. Où est son pied ? Probablement enfoui dans le sable.

Le jeune homme parvient avec force difficulté à rouler sur le dos. Il frissonne, ayant la désagréable impression d’avoir le dos aspergé d’eau glacé.

« Je vais bien, donne-moi juste quelques secondes, tout tourne… »

Toujours pas de réponse. Jimmy s’agace et lève les yeux vers sa conquête, prêt à l’invectiver.

Il est pétrifié d’effroi.

La beauté n’en est plus une.

Ses cheveux, encore bouclés et brillants il y a quelques secondes sont devenus gris et ternes. Ses yeux verts sont injectés de sang et de profondes rides parcourent son visage. Elle a un sourire mauvais, révélant des canines hypertrophiées investies par un tartre jaunâtre.

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L’étudiant se met à hurler.

Son cri, couvert par le bruit des vagues, stoppe net au moment où la créature lui pose un pied velu sur le torse. Un pied ? Non, la jambe du monstre s’achève en un sabot noir qui piétine la poitrine de sa victime avec violence.

L’instinct de survie décuple les forces de Jimmy et il repousse une première fois son assaillant avant de se relever énergiquement.

Il se met à courir dans la nuit profonde, toussant, crachant du sang, hoquetant.

Sa tête tourne. Ses jambes faiblissent. Il se dit qu’il devrait retourner à la fête, là où il y a du monde, là où il pourra trouver de l’aide. Cependant il court à l’opposé et n’a pas envie de rebrousser chemin, il n’a pas envie de croiser à nouveau le démon.

Il se signe puis se met à prier tous les saints qu’il connaît.

Le sang s’échappe abondamment de sa bouche, il faiblit. Les larmes lui brouillent la vue et c’est au moment de les essuyer qu’il se rend compte que c’est du sang.

Jimmy se retourne sans stopper sa course, personne.

Il regarde alors face à lui et percute de plein fouet le monstre qui en profite pour le mordre juste en dessous de l’oreille. La douleur est sourde. Le jeune homme tombe en arrière en portant une main à son cou, nul son ne s’échappe de sa gorge. Le démon aux yeux verts l’observe.

Une belle proie, pense t’elle, jeune et vigoureuse ! Il a très bon goût, je vais me régaler.

Le monstre passe une langue noire sur ses lèvres craquelées. Mais il a sous-estimé le garçon. Jimmy se relève en jetant du sable à la figure de son agresseur avant de détaler avec toute l’énergie du désespoir.

Mais sa course est vaine. Ses forces l’ont abandonné. La douleur irradiant son cou est insupportable. La morsure a creusé un trou dans les chairs et le jeune homme lutte pour ne pas tourner de l’œil.

Mais ses paupières sont de plus en plus lourdes et c’est finalement les yeux fermés qu’il progresse sur la plage, complètement perdu. L’instabilité du sol l’épuise davantage, son rythme cardiaque s’accélère et il est pris de nausées.

La soudaine fraîcheur agressant ses orteils suivie du clapotis de l’eau lui annonce qu’il court vers le large, il comprend alors qu’il s’enfonce progressivement dans la mer et risque la noyade.

Il stoppe sa course puis tente de repartir dans la direction opposée, quand il entend quelque chose se déplacer tout près de lui, l’éclaboussant de sable et d’eau salée.

La chose lui plante des ongles acérés dans les côtes, il crie. Vivement soulevé de terre, il se débat comme un condamné à mort.

Une morsure à l’un de ses poignets d’amour le plonge dans une torpeur fatale.

Il sent avec horreur les lèvres rêches du monstre se plaquer contre les siennes.

Une langue gluante s’enfonce dans sa bouche, lui bloquant la respiration. Jimmy a un haut-le-cœur lorsque ses pastilles gustatives perçoivent le goût corrosif de l’ammoniaque.

Il se sent étrangement léger, apaisé, il ouvre une dernière fois ses yeux morts, puis les ferme…à jamais.

Ignorant totalement la pièce macabre qui se joue non loin de là, François profite tant qu’il peut de la soirée.

Il se déhanche sur de bon vieux ragamuffin des familles. Il chante faux, dans un patois jamaïquain complètement approximatif, mais s’en fiche. Shaka Demus et Pliers ne lui en voudront pas de massacrer leur tube Murder she wrote.

C’est en zigzaguant qu’il rejoint quelques minutes plus tard son pote Jimmy, complètement avachi dans le sable.

« Alors timal ? Ou byen pwofité ?[5] Elle n’était vraiment pas mal ! Quel est son nom, petit cachotier ? »

Un long souffle s’échappe de la bouche du tombeur de ces dames.

Son dernier…

Le corps de Jimmy est complètement momifié. Quelque peu grassouillet, de son vivant, il est désormais squelettique, ses os faisant saillie sous sa peau flétrie. Ses yeux ne sont plus que deux trous béants, un crabe s’échappe de sa bouche d’où pend une langue noire et sèche.

Le temps suspend son vol.

François songe à un canular, se dit que ce n’est pas possible, qu’une caméra est forcément dissimulée quelque part.

Il se dit que Jimmy va se lever, que la contagion de son rire ô combien communicatif  va encore se vérifier.

Il croit que son ami va venir se vanter de la qualité de son maquillage dont le réalisme est poussé à l’extrême.

Mais, bien entendu, rien de tout cela ne se produit.

Le temps reprend son vol.

François se met à hurler, à s’égosiller comme jamais.

La peur lui fait l’effet d’un liquide glacé qui aurait remplacé le sang coulant dans ses veines.

Il tremble, recule lentement, complètement sonné.

Ses talons heurtent la vieille souche d’un cocotier, il bascule en arrière et chute brutalement sur le dos. Relevant le buste en prenant appui sur ses coudes, il guette le macchabée, s’attendant à ce qu’il bascule sur le ventre pour ramper jusqu’à lui. Il imagine les doigts osseux venir lui agripper les chevilles.

Cette vision d’horreur le fait mouliner des jambes, soulevant du sable qu’il ingère bien malgré lui. Il tousse, crie de plus en plus fort.

Les larmes brouillent sa vue, ne lui permettant pas de distinguer les traces de sabots qui s’éloignent du corps de la jeune victime…

[1] Tant pis pour  lui !

[2] Un temps, en créole, est une soirée, l’équivalent de la boum métropolitaine.

[3] Mec

[4] Sandwich guadeloupéen frit dans l’huile.

[5] Tu as bien profité ?

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